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Communiqué de l`ADLI pour le 1er décembre 2012

VIH/SIDA et DROITS HUMAINS :

CARENCES ET OBSTACLES 

La question du VIH/SIDA et des IST intéresse le droit tunisien et ce depuis la promulgation de la loi n°92-71 du 27 juillet 1992, relative aux maladies transmissibles, telle que modifiée par la loi n°2007-12 du 12 février 2007, et mise en application par le décret n°93-2451 du 13 décembre 1993.

L’examen de la loi n°92-71, nous révèle que le législateur a, d’une part, veillé à ce que la personne infectée ou affecté par le VIH/Sida et les IST ne souffre pas de traitement discriminatoire et a d’autre part, veillé à protéger la société contre la propagation du VIH/Sida.

La loi n°92-71 traduit en définitive un souci de protection de l’ordre public et une volonté ferme de s’inscrire dans la mouvance de la 3ème génération des droits de l’Homme.

La loi de 1992 traduit la complexité de la situation :

        –        Le respect des droits des personnes dans leurs rapports avec le VIH et les IST : une approche de droit de l’homme et de libertés fondamentales et

        –        La protection de la société contre le VIH et les IST : approche de contrôle et de restriction des droits.

La loi de 1992, tout en constituant un cadre juridique clair et directement lié au VIH et aux IST, ne doit pas être isolée du reste des textes juridiques qui ont trait aux différents droits et libertés qui peuvent avoir un effet sur l’infection par le VIH et les IST et sur les droits et libertés des personnes en rapport avec ces IST.

Les carences et les obstacles devant une application pertinente des principes fondamentaux en la matière, proviennent à la fois de la loi de 1992 et des textes juridiques ayant trait aux populations clés et vulnérables.

1. Carence et obstacles inhérents à la loi de 1992

La santé publique est l’une des composantes essentielles de l’ordre public. Comme l’action qui vise le maintien de l’ordre public se concrétise notamment par l’édiction de normes juridiques, pénalement sanctionnées, le recours à la législation est souvent perçu comme une panacée permettant d’interrompre ou de prévenir la propagation d’infections transmissibles telles que le VIH.

1.1 L’implication des médecins : la déclaration obligatoire

Il est possible de porter atteinte au secret des données professionnelles relatives au VIH/Sida et ce dans le cadre de la loi relative aux maladies transmissibles, il existe une exception légale au secret médical. En effet, la loi n°92-71 prévoit une déclaration obligatoire des maladies transmissibles (Selon l’article 7 de la loi de 1992 « la déclaration des maladies prévues à l’article 3 est obligatoire »). Il est curieux aussi de remarquer que cette loi considère que « les déclarations faites … ne constituent pas une violation du secret professionnel » (l’article 7 de la loi de 1992).

Le législateur ajoute qu’un décret fixera les conditions et les formes selon lesquelles seront faites ces déclarations obligatoires (le décret n°2451 du 13 décembre 1993 (JORT n°97 du 21 décembre 1993, p. 2140).

Cette mesure obligatoire peut constituer un argument dissuasif en matière de dépistage relatif au VIH/Sida. En effet, la crainte d’être répertorié et « d’avoir un fichier » auprès des autorités sanitaires, ne peut que décourager les personnes désirant procéder à un test de dépistage du VIH. Ainsi, penser à instituer un dépistage anonyme peut augmenter le nombre de personnes procédant à des diagnostics relatifs aux infections sexuellement transmissibles et notamment le VIH.

Ainsi, et après la modification de loi n°92-71 du 27 juillet 1992, relative aux maladies transmissibles, par la loi n°2007-12 du 12 février 2007 on a procédé à la création et l’institution d’une vingtaine de Centres de conseil et de dépistage anonyme et gratuit, renforçant ainsi le droit au secret et il a permis à un large public de procéder au test. (

1.2. Le volet contraignant et répressif de la loi de 1992

Différentes autorités publiques interviennent pour lutter contre la propagation de l’infection à VIH. Il s’agit des autorités sanitaires et celles judiciaires.

1.2.1. Rôle contraignant du Ministre de la santé publique.

La loi n°92-71 précise que lorsque la PVVIH refuse d’entreprendre ou de poursuivre les traitements prescrits malgré l’injonction d’avoir à se faire traiter régulièrement et d’en faire la preuve ou lorsqu’elle concoure délibérément par son comportement à la transmission de son infection à d’autres personnes, le ministre de la Santé Publique ou son représentant doivent saisir par voie de requête visant l’hospitalisation d’office de cette personne, le tribunal de première instance compétent afin qu’il statue en référé sur leurs demandes (article 12 de la loi de 1992). L’hospitalisation d’office qui vise l’isolement prophylactique est prononcée sans délai en chambre du conseil du tribunal, après avoir entendu le malade et le cas échéant son représentant. Il est procédé à l’exécution des décisions d’hospitalisation d’office sur minute.

Le ministre de la santé publique ou son représentant sont également habilités par la loi à engager des poursuites contre les médecins et les biologistes qui ne s’acquittent pas des obligations d’information et de déclaration précitées (objet des articles 6, 7 et 8 de la loi n°92-71). Ces derniers sont alors passibles d’une amende de 100 à 500 dinars. En cas de récidive, la peine est portée au double (article 17 de la loi de 1992).

1.2.2. Rôle des juridictions : elles interviennent dans la lutte contre l’infection à VIH.

Les juridictions pénales sont compétentes comme il a été dit pour sanctionner les médecins et biologistes qui  ne s’acquittent pas des obligations d’information et de déclaration (objet des articles 6, 7 et 8 de la loi n°92-71) et elles sont compétentes également pour sanctionner le comportement de certains porteur ou patients.

Elles peuvent sanctionner :

      –      d’une peine d’emprisonnement de 1 à 3 ans, toute personne reconnue coupable de vouloir délibérément par son comportement transmettre l’infection à VIH dont elle est atteinte à d’autres personnes (article 18 de la loi de 1992).

      –      d’une peine d’emprisonnement de 1 à 6 mois, toute personne hospitalisée d’office qui quitte l’établissement où elle est admise sans autorisation (article 19 de la loi de 1992).

Il convient de signaler que ces sanctions d’emprisonnement sont aux termes de l’article 20 de la loi purgées en milieu hospitalier approprié.

En plus de ces sanctions prévues dans la loi n° 92-71, les juridictions pénales peuvent prononcer à l’encontre des malades ou PVVIH, dans le cas où leur culpabilité est prouvée, les sanctions prévues par le code pénal en cas d’homicide intentionnel ou en cas d’homicide involontaire (les articles 201 à 217 du code pénal). Il en est de même pour les médecins et biologistes.

2.1.3. Les droits manquant dans la loi de 1992

La loi de 1992 tout en insistant sur le principe de non discrimination à l’égard des personnes infectées, affectées ou vivant avec une IST, elle ne détaille pas les mécanismes de mise en application de ce principe fort important en la matière (sauf et d’une manière incomplète an matière de gratuité des soins pour les personnes prises en charge dans les établissements de santé publique).

Cette carence a ouvert la voie devant différentes interprétations de disposition de la loi de 1992. Il serait intéressant de détailler ces droits et de les intégrer dans cette loi. Ainsi, la loi de 1992, peut inclure les droits des personnes vivant avec le VIH.

Il est aussi de mise de rappeler que la loi de 1992 ne fait aucune allusion aux services juridiques liés aux VIH/SIDA et IST.

2 Carences et obstacles inhérents aux textes juridiques ayants trait aux populations clés et vulnérables

Ces carences et obstacles consistent principalement dans la pénalisation des populations clés et vulnérables.

Il est connu maintenant que l’approche répressive à l’égard des populations clés et vulnérables ne peut avoirs que des effets négatifs sur :

– l’accès à ces populations pour les toucher avec des messages de prévention ;

– L’accès de ces populations aux services sociaux et de santé, sans discrimination

– le travail et la consécration de programmes adaptés à répondre aux besoins spécifiques de  ces populations ;

– la crainte et la suspicion qui caractérise ces populations à l’égard des autorités.

2.1. Les législations sanctionnant les populations clés et vulnérables

2.1.2. L’approche répressive en matière de stupéfiants

La lecture de la loi du 18 mai 1992 confirme que cette loi s’inscrit dans une dimension plutôt répressive et ne touche aux aspects préventifs et curatifs que d’une manière limitée.

2.1.3 La pénalisation des HSH (MSM)

L’article 230 du Code Pénal tunisien (Ce code fut promulgué par le décret Beylical du 9 juillet 1913, Journal Officiel du 1er octobre 1913, n° 79) dispose que : « la sodomie, si elle ne rentre dans aucun des cas prévus aux articles précédents, est punie de l’emprisonnement pendant trois ans» (cet article n’a jamais fait objet de modification).

Cette incrimination claire et ferme de l’acte homosexuel, et qui a été prononcé à maintes reprises par le juge pénal, n’aide pas dans l’accès à cette population et d’engager un travail de sensibilisation légalement reconnu.

2.1.4 La pénalisation des travailleurs et travailleuses du sexe clandestin(e)s

En matière de travail de sexe, le droit tunisien consacre une double distinction :

 ■D’une part, le droit tunisien ne reconnaît que les travailleuses du sexe autorisées ; Il exclut ainsi et pénalise les travailleurs du sexe (du sexe masculin) ;

■D’autre part, le droit tunisien distingue, les travailleuses du sexe autorisées (soumise à une stricte réglementation : endroits bien déterminés de travail, contrôle sanitaire périodique…) des travailleuses clandestines dont l’activité est lourdement pénalisée : peine d’emprisonnement.

Ce régime juridique de double exclusion (des travailleurs de sexe et des travailleuses du sexe  clandestines) et de lourde pénalisation de cette activité, constitue un handicap majeur devant l’accès à ces populations clés et l’organisation de campagnes en leur faveur.

2.1.5 Le régime de détention et d’emprisonnement

Selon la loi n°2001-52 du 14 mai 2001 relative au régime des prisons, les principes de la détention et de l’emprisonnement sont les suivants :

 ■La séparation des détenus selon l’âge, le sexe, le type de l’infraction commise et si le détenu est récidiviste ou non. A ce niveau, nous remarquons une pratique de séparation des HSH des autres détenus ;

 ■La séparation des enfants (ayant moins de 18 ans) et leur détention loin des adultes (la nuit) ;

 ■Le contrôle périodique et systématique des endroits de détention, des chambres, dortoirs et affaires des détenus, de jour comme de nuit ;

 ■L’examen médical systématique des détenus à leur arrivée au lieu de détention : test des maladies contagieuses et transmissible, cet examen ne concerne pas le test VIH ;

 ■Le régime pénitencier tunisien ne reconnaît et ne consacre pas les nouveaux modes de prévention contre le VIH (préservatifs et matériel d’injection stérile) ; il reste imprégné par les modes classiques : séparation et contrôle…

2.3. Conclusions et recommandations

Le Cadre juridique tunisien en matière de VIH/SIDA/IST se caractérise par la dualité suivante : la protection de l’ordre public sanitaire, d’une part et la prise en considération de certains droits des PVVIH et personnes infectées par des IST, d’autre part.

Ce cadre juridique se traduit dans la loi de 1992 sur les maladies transmissibles et le droit commun qui touche aux différents droits et obligations de tout citoyen.

Ce droit (la loi de 1992) reste lacunaire sur un grand nombre d’éléments.

– En effet, la loi tout en annonçant le principe de non-discrimination à l’égard des PVVIH ou infectées par des IST, elle ne détaille pas ce principe et ne permet pas de cerner clairement les droits desdites personnes et notamment le respect de leurs droits à la vie privée, aux travail et aux différents droits économiques et sociaux.

– Il en est de même du principe de la confidentialité. La loi de 1992, même après sa modification en 2007, reste caractérisée par le principe de déclaration obligatoire (sauf pour les personnes dépistées dans les CCDAG). Il est temps de faire de la confidentialité un principe de base de la loi de 1992 et de reléguer la déclaration au rand d’exception.

– La loi de 1992 n’insiste pas sur le principe de l’accès universel. Il est vrai que la loi fait bénéficier les personnes traitées dans les établissements de santé publique de la prise en charge complète et gratuite, cependant, le principe d’accès universel n’est pas clairement reconnu dans le cadre de cette loi.

– Quant à la dimension genre et la spécificité des enfants PVVIH et/ou affectés par le VIH/SIDA/IST, la loi de 1992 reste muette.

– Enfin, la loi de 1992 ne mentionne que brièvement le soutien psychologique et social des PVVIH et des personnes infectées par des IST et ne fait aucune allusion aux services juridiques liés aux VIH/SIDA/IST.

Mis à part la loi de 1992 qui demeure lacunaire, le droit tunisien en général, et malgré sa tendance à l’ouverture et à l’intégration d’une dimension complémentaire, interdépendante, universelle et globale des droits humains et des libertés fondamentales (article 5 de la Constitution tunisienne suspendue en mars 2011), demeure, à certains égards défavorable à une prise en considération de la spécificité des VIH/SIDA/IST.

– En effet, le droit tunisien est caractérisé par une approche répressive à l’égard des populations clés : les T. (clandestin-e-s), les HSH et les UDI. Cette pénalisation des populations clés ne saurait permettre une meilleure intégration de ces populations dans le processus de lutte contre le VIH/SIDA et les IST.

Une approche plus préventive, plus respectueuse des droits humains ne saurait qu’améliorer l’accès à ces populations et une meilleure prévention contre le VIH et les IST.

En définitive, il serait opportun de :

 ■Reprendre la loi de 1992 et la modifier dans un sens d’ouverture et d’intégration des évolutions récentes en matière des évolutions juridiques liés aux VIH/SIDA/IST et de dépasser ses lacunes qui représentes des freins sérieux à une bonne riposte aux VIH/SIDA/IST ;

 ■Assouplir le cadre juridique relatif aux populations clés en reconsidérant la pénalisation excessive et d’enlever les éléments injustifiés.

 le bureau de l`ADLI

Le président Wahid ferchichi

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